La conférencière, spécialiste de l’œuvre de Léon-Gontran DAMAS, lui a consacré une thèse monumentale.
Après quelques mots d’introduction du docteur Marcel Bibas, neveu de DAMAS, voici en résumé ce qu’ elle dit à un public attentif
Il ne sera question à son sujet ni du chemin, ni des lames, ni de l’âme, de Damas… Damas est un nègre et tient à sa qualité et à son état de nègre. Voilà qui fera dresser l’oreille à un certain nombre de civilisateurs qui trouvent juste qu’en échange de leurs libertés […] les gens de couleur soient honorés du nom de "Noirs" ». C’est en ces termes que Robert Desnos préfaçait le premier recueil poétique de son ami. Damas : « Hoquet » ou bégaiement, nom murmuré, celui d’un « passant considérable », père fondateur de la négritude (« Pour sûr » !), ce mouvement, littéraire pour les uns, idéologique pour les autres, qui fut loué par des personnalités aussi opposées qu’André Breton et Jean-Paul Sartre, puis décrié sous « Les Soleils des indépendances ». Poète nègre qui se définissait comme un « croisement d’adjectifs », Damas n’a eu de cesse d’ancrer son œuvre dans les réalités complexes et tumultueuses de son temps, délivrant de 1934 jusqu’à sa mort en 1978, un message de fraternité sans complaisance aucune pour les « chapelles » et leur instrumentalisation, tant idéologique qu’économique, des peuples.
La réédition par Jean-Michel Place de Retour de Guyane rend hommage à l’engagement de ce poète qui fut également ethnologue, journaliste, homme de radio et député ; au chercheur inlassable dont la carrière s’acheva au Centre d’étude et de recherches africaines de Howard University (Washington D. C.).
Après un silence de soixante-cinq années, voilà donc restituer au plus grand nombre ce titre (qui n’est pas sans rappeler Retour de l’U.R.S.S. d’André Gide), augmenté d’articles journalistiques. Ce « journalisme en librairie » mérite plus que jamais d’être redécouvert, pour notre appréhension de l’histoire coloniale à travers le prisme d’un territoire américain au drapeau tricolore. L’illustre aîné René Maran (Prix Goncourt 1921) ne s’y trompe pas : « La principale caractéristique de cette substantielle étude, c’est sa combativité de parti pris. On ne se battra jamais trop pour la Guyane. Attirer l’attention sur elle, c’est faire preuve de vigilance, de prévoyance et de patriotisme. Les Etats-Unis la guettent ; le Brésil aussi, ou, si l'on préfère, les Allemands, qui s'infiltrent par tous les moyens au Brésil et qui le colonisent à son insu. La meilleure partie du livre, la plus utile, la plus nécessaire, c'est celle où M. L.-G. Damas fait justice, en quelques pages, du mauvais renom dont la Guyane essaie vainement de se délivrer. Il y a brassé et résumé trois siècles d'histoire locale. Elles expliquent d'où provient l'opprobre qui accable ce malheureux pays. Voilà, comme on dit de la belle ouvrage, et bien faite, en un style dense, rapide, lumineux et dur, qui emporte le morceau et ne laisse rien dans l'ombre. […] Tout Retour de Guyane présente, du reste, un constant intérêt. Les chapitres consacrés à l'éducation, aux fonctionnaires, à la grande pitié des communes rurales, à pour ou contre l'assimilation, compte tenu de leur allure polémique, indiquent des tares, proposent des réformes, prodiguent des idées qui ne devraient laisser indifférents ni les Guyanais, ni les pouvoirs publics. M. L.-G. Damas a rempli, ce faisant son devoir d'écrivain français. L'avenir récompensera son courage et sa clairvoyance. » L’ouvrage trouve son public en Europe et outre-atlantique, bien que la légende veuille qu’un gouverneur de Guyane ait ordonné l’achat d’un grand nombre d’exemplaires, puis l’autodafé.
Ce Retour n’a rien du cahier. Une grande partie des informations qui s’y trouvent exposées, furent collectées – comme l’auteur s’en explique très clairement au début de son reportage – lors d’un voyage d’étude effectué pour le compte du Musée de l’homme. Huit mois durant, Damas (fils d’un fonctionnaire guyanais et d’une Martiniquaise) étudie sur sa terre natale les « survivances africaines », quand d’autres célèbrent le tricentenaire du rattachement des vieilles colonies à la France. Formé par Marcel Mauss à l’ethnologie, véritable « creuset des sciences humaines », le jeune homme de vingt-deux ans prend note de la réalité créole par des données historiques, socio-économiques et politiques, ignorées des clichés de reportage. Dès lors, la Guyane telle qu’en elle-même, s’offre à celui qui souhaite l’entendre ! Au journaliste qu’il est, d’en rendre compte sans exotisme, en l’intégrant, toute pétrie qu’elle est de culture française, sur la grande scène internationale : « Qu’ajouter à tout ceci, que peut-on faire, sinon répéter : il faut […] décongestionner le bassin Caraïbe… enfin pour l’honneur de quarante millions d’individus qui, aujourd’hui, ne se soucient guère de l’existence de cette colonie et savent seulement d’elle qu’elle est la poubelle de la Métropole, mais qui demain, risquent de voir en cette même Guyane, déjà agonisante, commencer l’effondrement de l’Empire français. » Qu’ajouter à tout ceci sinon souligner que Retour de Guyane paraît en mars 1938 : Léon Blum forme alors son nouveau cabinet, supprime le poste de sous-secrétaire d’Etat aux colonies, libérant ainsi le député guyanais Gaston Monnerville de ses obligations ministérielles ; pour des raisons diplomatiques, la question des exigences coloniales d’Hitler est marginalisée…
Le sujet passionne une assistance très avertie, qui n’arrive pas à surprendre la conférencière sur les détails de la vie et l’œuvre de L.G. DAMAS.
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